Article de Matilde Grünhage Monetti, coordinatrice du réseau Language for Work (LfW) /
La langue pour/par le travail (http://languageforwork.ecml.at)
Suite à la demande de Pektra Elser, membre du réseau LfW, j’ai été invitée à participer à une conférence porteuse de dissémination et d’effets démultiplicateurs du projet COMBI à Donostia, au Pays basque espagnol, les 6 et 7 juin.
Ce projet Compétences de communication des migrants et apprenants en situation vulnérable en contexte professionnel bilingue est cofinancé par le programme Erasmus+ de l’Union européenne. Les partenaires de COMBI interviennent dans de nombreuses régions officiellement bilingues en Europe. Dans ces régions, les langues autrefois dominantes, à la suite de politiques linguistiques hégémoniques des états-nations, sont devenues aujourd’hui des langues minorisées, je préfère dire « langues minorisées » et non « minoritaires ». C’est dans ce cadre que les langues de COMBI (le basque, le gallois, le frisien, le suédois dans certaines parties de la Finlande et les dialectes siciliens) sont représentatives de tant d’autres en Europe.
Les enjeux de ces langues minorisées sont particulièrement révélateurs dans le contexte actuel de la migration, des changements démographiques et du recrutement de personnels locaux dans le domaine sanitaire et social. Le secteur sanitaire et social, partout en Europe, est devenu vraiment dépendant du personnel migrant. Dans les régions bilingues, ces travailleurs migrants font face à un double défi, apprendre les deux langues du pays hôte avec, au minimum, un niveau correct de connaissance. On peut imaginer que les personnes âgées dont ils s’occupent, en particulier celles ayant perdu leurs facultés mentales, réagiraient mieux dans la langue de leur enfance, le basque, le gallois, le dialecte, etc., alors que les autres interlocuteurs du quotidien devraient parler majoritairement dans la langue « nationale ».
De plus, le projet COMBI souhaite mettre à disposition des formateurs du secteur sanitaire et social et des formateurs de langues minoritaires des outils innovants pour développer les compétences langagières en langue minoritaire dont les migrants ont besoin pour travailler dans ce secteur (www.combiproject.eu).
Lors de ces journées à Donostia, j’ai choisi de présenter le Guide rapide, étant donné qu’il permet de réfléchir sur les principes fondamentaux de l’apprentissage de la L2 en offrant conseils et trucs pratiques pour favoriser le développement des compétences langagières en lien avec le travail chez les migrants. Chaque proposition a été illustrée de cas concrets amenés par les membres du réseau de toute l’Europe. (http://languageforwork.ecml.at)
La réunion s’est déroulée en basque et dans la langue du projet, l’anglais. Au travers des contributions partenariales sont apparus les différents statuts des langues minorisées selon les contextes historiques variés des pays. Dans les politiques officielles, l’approche fonctionnelle finlandaise considère l’individu comme essentiellement intégré à la force de travail alors que l’organisation basque KABIA a apporté une dimension humaniste dans la discussion en se préoccupant notamment des soins, de l’égalité linguistique, de la responsabilité et de la justice sociale.
Ces mêmes résultats sont apparus lors des discussions de notre réunion de réseau à Graz (1er et 2 juin) : la responsabilité partagée de tous les acteurs autour de la langue et de la communication. En écho au titre du manuel réalisé par nos collègues suédois d’ArbetSam : mieux communiquer signifie mieux soigner et donc une qualité encore meilleure, ce qui constitue un avantage pour la société dans son ensemble (http://www.aldrecentrum.se/...b1%5d.pdf).
Un autre thème en commun a été la prise de recul vis-à-vis de la focalisation de l’enseignement vers l’apprentissage et un intérêt croissant des dispositifs non formels et informels, discutés également à Graz. L’intérêt croissant des dimensions réflectives et affectives de l’apprentissage a été aussi partagé, en particulier grâce aux exemples pratiques apportés par d’autres intervenants : Cathrin Thomas, Arbeiterwohlfahrt, Bielfeld, Allemagne, présenta quelques-uns de ces exercices phonétiques et deux collègues franco-basques, Etcharry Formation Dévelopment, Ustaritz, ont illustré leur approche holistique de la formation. Enfin, le concept du translanguaging fut vivement illustré au travers des exemples pratiques de la méthodologie utilisée par Banaiz Bagara Elkartea dans leurs cours de langue basque, particulièrement efficace en contexte bilingue : l’objectif n’est pas de faire deux monolingues en une personne, mais de faire en sorte que chaque locuteur utilise entièrement son répertoire langagier : les deux langues en question ne sont donc pas traitées comme des entités séparées, la transition de l’une à l’autre se reposant sur la fluidité.
Une étude remarquable du taux de migrants employés au Pays basque fut présentée lors de cette conférence : le nombre de femmes en poste est plus élevé que le nombre d’hommes. Une majorité de ces femmes viennent d’Amérique du Sud et travaillent comme aide à domicile, souvent sans couverture sociale.
L’événement lui-même fut un bel exemple du translanguaging avec des passages souples entre le basque, l’anglais, le castillan et bien d’autres langues européennes !
Je souhaiterais terminer en rendant hommage au grand poète sicilien, Ignazio Buttitta, qui a beaucoup écrit sur la perte de sa langue native minorisée :
e sugnu poviru
haiu i dinari
e non li pozzu spènniri,
i giuielli
e non li pozzu rigalari;
u cantu,
nta gaggia
cu l'ali tagghati
…
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Et je suis pauvre
J’ai de l’argent
Mais ne peux le dépenser
Des bijoux
Mais ne peux les offrir,
(Ma) chanson
Coincée dans la gorge
Avec les ailes coupées.
…
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