Développer la conscience linguistique
dans les matières scolaires

En 1979, Jim Cummins a défini deux types de langue pour illustrer la différence : une compétence de base en communication interpersonnelle, (BICS : Basic interpersonal communication skills) et une compétence cognitivo-académique en langue (CALP : Cognitive academic language proficiency). BICS fait référence au langage utilisé dans des situations familières et quotidiennes. Cette compétence BICS se développe souvent rapidement dans une langue seconde, car elle est utilisée lors d’interactions avec des amis, des pairs, etc. La compétence CALP, en revanche, est la langue que les élèves rencontrent lors des enseignements disciplinaires. Elle est plus abstraite, souvent sous forme écrite et décontextualisée (Leung 2003). Depuis peu, ces deux registres sont plutôt perçus comme des utilisations différentes de la langue dans un continuum (voir par exemple Snow & Uccelli 2009). La tendance actuelle semble utiliser les termes généraux Langage académique par opposition au Langage ordinaire (Scarcella 2003), au Langage social ou au Langage de conversation (voir par exemple Fitts & Bowers 2013).

Mary Schleppegrell (2006) souligne qu’en contexte scolaire les élèves sont censés maîtriser les savoirs, organiser les informations et exprimer leurs connaissances et leurs points de vue d'une voie reconnue. Schleppegrell souligne que la densité d’informations, l’abstraction, les détails techniques, les systèmes sémiotiques multiples, les structures de texte conventionnelles sont des facteurs qui caractérisent la langue de scolarisation. Si les enseignants ne sont pas conscients des problèmes de langue rencontrés dans des disciplines comme les sciences, l'histoire, les mathématiques, etc., l'apprentissage peut devenir difficile pour certains élèves.

L’enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère (EMILE) est une méthode étroitement liée à la langue de scolarisation. L’enseignement EMILE est souvent utilisé en relation avec l’anglais, par exemple pour enseigner les mathématiques à des apprenants finlandais (en Finlande) en anglais ou en français ou dans une autre langue étrangère. L'idée est que l'enseignement d’une matière et l'enseignement de la langue étrangère vont de pair, et que les élèves construisent des connaissances en même temps qu’ils apprennent la langue, tirant le meilleur parti des deux des deux apprentissages. Dans les programmes d'immersion canadiens, les élèves des familles anglophones suivent la plupart des matières en français. Dans le contexte européen, l’enseignement EMILE consiste souvent à enseigner une matière ou des parties d’une matière dans une langue étrangère pendant une période limitée.

L’enseignement EMILE est toujours un choix volontaire fait à un certain niveau dans le système éducatif. Il est très rare que l’enseignement EMILE soit la seule option pour enseigner une matière. Dans certains cas c’est un enseignant motivé, en accord avec l’administration de l’école et les parents, qui décide s’il convient d’utiliser une méthode EMILE pour enseigner une matière ou un sujet et pendant combien de temps les élèves seront exposés à l’enseignement EMILE. Les enfants immigrants (ou les parents) ne peuvent en revanche pas choisir librement la langue de scolarisation.

Bien que l'apprentissage et l'enseignement des langues étrangères existent depuis des milliers d'années, l'EMILE est un phénomène relativement nouveau en Europe. Les racines modernes de cette méthode d’enseignement se trouvent dans les programmes et les études d’immersion au Canada. Depuis les années 1960, les apprenants de langue maternelle anglaise peuvent choisir des programmes d'immersion spécifiques où ils suivent des cours dans la plupart des matières en français, de la maternelle au deuxième cycle du secondaire.

Dans le contexte européen, l’enseignement EMILE est une approche moins radicale et plus flexible de l’immersion linguistique. L’intérêt pour l’enseignement EMILE se situe à deux niveaux complètement différents en Europe (Dalton-Puffer, 2009). Au niveau de l’école, les écoles / enseignants, en accord avec les élèves et les parents, décident de l’enseignement EMILE dans des disciplines spécifiques (ou des sous-parties des disciplines). D'autre part, des publications politiques de différentes agences de l'UE du début des années 1990 ont clairement montré que l'EMILE est considéré comme un outil important pour que davantage de citoyens européens parlent plus de langues (Marsh, 2002 ; Commission des communautés européennes, 2003). En Europe, il existe peu d'initiatives EMILE aux niveaux régional et national.

Beacco (2010), Vollmer (2010), Pieper (2011) et Linneweber-Lammerskitten (2012) ont analysé les besoins langagiers des élèves pour atteindre les objectifs académiques de fin de la scolarité obligatoire, vers l’âge de 15-16 ans¹. Les compétences linguistiques et sémiotiques particulières que les élèves devraient avoir à ce stade comprennent la compétence stratégique, la compétence discursive et la compétence formelle (linguistique). La compétence stratégique implique que les élèves soient capables de planifier, d'exécuter, d'évaluer et de corriger les activités linguistiques dans lesquelles ils sont impliqués à l'école. Avoir une compétence discursive signifie être capable de comprendre et de gérer les différents types de discours rencontrés par les élèves dans les matières enseignées. Manuels, conférences, rapports, articles, nouvelles et documentaires sont des exemples de types de discours auxquels les élèves peuvent être confrontés dans différentes matières scolaires. Selon les mêmes chercheurs, la compétence formelle est à la fois la capacité de formuler des phrases et des textes avec une orthographe, une morphologie et une syntaxe correctes, mais aussi d'utiliser différentes fonctions discursives, telles que argumenter, classer, comparer, expliquer, définir, illustrer, etc. Tous ces fonctions, et d’autres encore, sont des fonctions typiquement utilisées dans la plupart des disciplines scolaires.

¹ Dans la plupart des pays européens, l’enseignement obligatoire est compris entre 5 et 6 ans et entre 15 et 16 ans (Commission européenne / Eurydice, 2015).

Dans de nombreux pays, les capacités disciplinaires sont intégrées dans les objectifs de compétences et les objectifs du programme. Les objectifs de compétence dans des matières scolaires telles que l’histoire, la physique et d’autres indiquent des objectifs linguistiques en plus des objectifs de connaissance. Par exemple, selon le programme scientifique norvégien de 10e année, les élèves devraient être capables de :

• formuler des hypothèses vérifiables, planifier et mener des expérimentations et discuter des observations et des résultats dans un rapport ;
• expliquer comment l’énergie électrique peut être produite à partir de sources d’énergie renouvelables et non renouvelables et discuter des impacts des différentes méthodes de production d’énergie sur l’environnement.

Il incombe à chaque enseignant disciplinaire d’enseigner de manière à ce que les élèves puissent construire des savoirs et donner un sens aux différents sujets abordés dans sa matière. Cela signifie se concentrer sur les savoirs et sur la langue. «La dimension linguistique dans l'enseignement et l'apprentissage de la matière revêt une importance égale à celle de la langue comme matière elle-même» (Beacco et al., 2015).